•  

    Tombeau de Greta G. de Maurice AudebertAvis aux nostalgiques de la grande époque hollywoodienne, celle où commencent à briller les étoiles du cinéma des grands studios américains. Maurice Audebert nous fait découvrir cet univers de l'intérieur, en passant de l'autre côté de l'écran. On oublie les paillettes et les décors grandioses qui accompagnent l'icône Greta Garbo. On préfère se glisser entre les murs d'une froide et vaste demeure sur les hauteurs de Los Angeles pour se retrouver dans l'intimité de la star.

    C'est dans la tour de celle-ci que s'est loti le narrateur, linguiste viennois chassé par la Grande Guerre, photographe improvisé outre-Atlantique. Les doutes et les angoisses de chacun peuvent alors s'exprimer librement. Des dialogues, souvent secs et cinglants, déconstruisent l'image du “Sphinx suédois” pour le rendre plus humain, dépassé par ce monde où flottent aussi des noms comme Mauritz Stiller, Josef von Sternberg, Marlène Dietrich...


    Celui qui, à plus de quatre-vingts ans, ne cesse de créer, d'innover même en se lançant dans le style romanesque depuis ‘Heureux qui comme Ulysse...’, sait être délicat et élégant, certainement pas voyeur, pour entrer dans l'intimité de la “Divine”. Il ne faut pas lire ‘Tombeau de Greta G.’ en espérant y retrouver l'euphorie et la joie de vivre qui semblent enivrer tout ce beau monde. Mais ce regard triste et sensible que porte l'auteur nous émeut, la beauté nordique paraît plus réelle.

    Que l'énergie qui constitue Maurice Audebert, comme il l'appelle lui-même, soit inépuisable et qu'il continue à nous enrichir de son écriture !


  • une série de vidéos d'enregistrement du philosophe auteuir de la "poétique de l'espace", à découvrir

     

     

     

     


  •  

    Après Marie-Antoinette l’insoumise, (voir aussi la biographie d'Hélène Delalex : Marie-Antoinette) Simone Bertière passe à une Apologie pour Clytemnestre. Est-ce un bon titre ?

    Explicite et objectif, il laisse entendre que Simone Bertière a pris sa cause en main et la défend.

    La réalité est beaucoup plus subtile. C’est Clytemnestre elle-même qui vient à nous, se présente et s’explique — je ne dis pas se justifie. Tient-elle vraiment à ce que nous appelons une « réhabilitation » ? Ce qui lui importe, c’est de dire : voilà qui je fus, ce qu’il m’est advenu, et qui je reste, version souvent bien différente de ce que vos poètes ont fait de moi. De la part de Simone Bertière, propos beaucoup plus habile s’il s’agit de sauver l’honneur d’une femme, beaucoup plus fécond s’il s’agit d’interroger un personnage devenu mythique.  

                Ainsi donc, avec l’élégance du naturel, qui sied à une reine, la fille de Tyndare et l’épouse d’Agamemnon nous raconte son histoire. Et c’est un véritable bonheur, même si l’horreur n’en est pas absente. Pourquoi ? Parce que ce long récit, servi par une langue admirable, est un produit de double imprégnation. Imprégnation de nature : la vie quotidienne en Grèce dans l’éclat des temps épiques. Imprégnation de culture, toute la fable ordonnée et comme filtrée par la voix d’une femme, la voix d’autorité et d’authenticité que Simone Bertière prête à Clytemnestre. Ils sont là tous, les grands textes, d’Homère à Euripide, de Racine à Giraudoux, et le moindre plaisir n’est pas de les reconnaître au passage, et d’admirer avec quel art de rhapsode ils sont fondus. Clytemnestre les connaît tous, mais, déroulant le fil de sa vérité, elle les juge. Et ce double critère de cohérence narrative et de vraisemblance psychologique est une saisissante leçon de critique littéraire.

                Ce n’est pas tout. Ce qui fait là un grand livre, c’est sa charge d’humanité. « En vous parlant de moi, je vous parlerai de la vie, de la mort, de l’amour, de la maternité. De la guerre et du pouvoir. De l’or et des richesses. De la vengeance, de la violence. Et des hommes qui se prennent pour des dieux. De vous, en somme… » Clytemnestre est-elle coupable ou innocente, bonne ou méchante, haïssable ou émouvante ? Laissons-la débattre de ces questions avec Euripide, qu’elle rencontre aux Enfers, comme dans les Dialogues des morts de Lucien. Le véritable enjeu est d’une autre portée : Clytemnestre est porteuse d’humanité. Son humanité à elle, qui est celle d’une petite fille, d’une sœur, d’une épouse, d’une mère, d’une amante, d’une reine. C’est beaucoup. L’humanité de ceux qui ont croisé son chemin et son destin, et qui ont dépendu d’elle. C’est beaucoup plus encore. C’est même, par figures, l’humanité tout entière, et bonne part de la divinité. Or, tout ce poids de la chair aux prises avec le cœur et l’esprit — allons jusqu’à dire l’âme, tout ce combat entre le bien et le mal, il trouve incarnation dans une femme que nous a léguée, il y a près de trois mille ans, la littérature d’un pays qui s’appelle la Grèce.

               

    Simone BERTIÈRE, Apologie pour Clytemnestre, de Fallois, 304 p., 18 €

     

     

     

     


  •  

    Une promesse de Sorj ChalandonComment éviter l’inévitable ? Comment faire pour que la mort dévie sa route, ne nous emporte irrémédiablement vers d’autres horizons ? En essayant peut être de garder l’âme des disparus intacte comme s’ils étaient toujours bien vivants. Dans ‘Une promesse’ de Sorj Chalandon, Lucien dit Le Bosco porte le deuil de son frère Etienne et de Fauvette, la femme de ce dernier. Deux êtres tellement amoureux qu’ils ont décidé de mourir ensemble, côte à côte. Mais Lucien, tenant de bar, s’est fait une promesse : faire que leur âme ne soit pas capturée par la veilleuse du grenier. Sept amis d’enfance vont donc se relayer dans la maison des disparus pour les faire vivre jour après jour... Mais pour encore combien de temps ?


    A la lecture de ce texte, plusieurs émotions nous submergent. Nous sommes tout d’abord émus par l’amitié qui unit ces sept personnes, chacun étant indispensable à l’autre. Nous sommes aussi touchés par la douleur que ressent le frère resté seul, un homme qui ne veut pas laisser partir des membres qui lui sont chers. Et puis un sentiment de paix intérieure nous envahit, on se dit que la vie doit continuer, qu’il faut savoir tourner la page.


    Tous ces étapes de lecture n’auraient jamais pu être ressenties sans le style très intimiste de l’auteur. Car même si dès le début, on sait où nous mène l’histoire, son écriture simple et efficace nous transporte. Sans chichis ni faux sentiments, Sorj Chalandon reste dans le vrai. Et c’est finalement l’essence même de la réussite en littérature.

     


  •  

     

    Mère disparue de Joyce Carol OatesIl y a dans son nouveau roman tout ce qui fait de l’oeuvre de Joyce Carol Oates l’une des plus riches et des plus marquantes de la littérature américaine contemporaine. Un bout de vie enchâssé dans la grande existence qui se reflète dans l’universel. Des mots qui coulent, un style fluide et une atmosphère néogothique étrangement dérangeante mais agréablement captivante. Toujours en quête du genre féminin, de ses mystères, l’Américaine parle cette fois à celle qui l’a portée.


    Le drame, la mort brutale de la mère, y est l’occasion d’un retour dans le passé, une chance de se réapproprier les liens du sang, au risque de perdre sa propre identité. La romancière se fait analyste. Son roman est l’histoire d’un transfert, celui d’un choc dont les dommages se cachent derrière une douleur inimaginable. C’est celui du retour à la source alors même que celle-ci se tarit.


    Entre souvenirs épars et paraboles poétiques, Oates, fine observatrice et chroniqueuse sociale avertie, préside encore aux destins. Mais elle laisse percer une sensibilité, une fragilité qu’on lui connaît moins. La féministe, la femme engagée, signe une déclaration d’amour à sa propre mère, à toutes les mères. Profondément attachant et tendre, ‘Mère disparue’ offre à chacun, homme ou femme, de porter un regard sur ses rapports aux siens, avec la certitude d’y trouver l’écho, même lointain, de sa propre existence. Un roman sans accroc, aussi profond qu’il est évident.

     

     

    Editeur : Philippe Rey